Interview d’Eléonore Gay, présentatrice du magazine « Nous, les Européens »
• Publié le 6 février 2023 • Rubrique(s) Actualités de l'Union europénne, MDE, Tout sur l'Europe
Journaliste à France Télévisions, Eléonore Gay parcourt le
continent européen pour débusquer des initiatives
originales et des idées innovantes dont la France pourrait
s’inspirer. Cela donne un magazine hebdomadaire de vingt-six minutes intitulé « Nous, les Européens ».
Quand on s’appelle « Nous, les Européens », est-ce qu’on s’intéresse
plus aux citoyens qu’au travail de l’Union européenne ?
Oui. Même si l’agenda institutionnel de l’Union européenne donne parfois des
idées de reportages ou d’interlocuteurs, ce n’est pas un magazine sur son
actualité. Nous recherchons avant tout en Europe celles et ceux qui font des
choses nouvelles ou inspirantes et les expériences qui peuvent susciter le
débat ou avoir un effet miroir. Puis nous nous posons les questions suivantes :
est-ce que ce que nous découvrons est appliqué en France ? Qu’est-ce qui
nous différencie ?
Pourtant la comparaison n’est pas systématique avec la France…
Effectivement. On peut choisir de ne traiter qu’un pays à la fois parce qu’il s’y
passe des choses intéressantes. Cela a été le cas en Irlande où nous avons
présenté une initiative originale en matière d’éducation pour lutter contre les
inégalités. Du coup, on a poursuivi avec un sujet sur l’écologie et on a fait un
point sur l’Irlande du Nord. De la même façon, notre émission de rentrée était
entièrement consacrée à l’Espagne, un des pays qui a le plus fait pour lutter
contre les inégalités hommes-femmes avec des sujets comme les congés
paternité (les plus longs d’Europe), les thérapies destinées aux hommes
contre les violences conjugales et, bien sûr, une rencontre avec Irene
Montero, la ministre de l’Egalité, qui est une femme incroyable. On peut aussi
choisir un thème à l’occasion d’un autre tournage. Par exemple, un
journaliste de l’équipe était parti en Autriche pour faire un reportage sur les
vélos-routes. Au cours de son déplacement il a rencontré des personnes qui
organisaient des réunions de préparation sur un black-out énergétique. Ce
sujet sur l’énergie autrichienne nous a conduit à aborder aussi le problème de
l’Allemagne avec le gaz russe plutôt que la situation française qui était
présentée tous les soirs dans les JT. Ceci dit, la France est incontournable sur
des sujets comme la pêche (avec le cas islandais) ou le temps de travail
(avec la semaine des quatre jours en Espagne), ou même l’emploi des séniors
dans le cadre du projet français de réforme de la retraite qu’il sera
intéressant de comparer avec un autre pays européen.
Ces derniers exemples semblent montrer que votre émission colle de
plus en plus, sinon à l’actualité immédiate, au moins aux
problématiques de l’Union européenne…
Quand j’ai pris la suite de Francis Letellier, il y a un an et demi, j’ai souhaité
être plus en résonnance avec l’actualité, mais comme peut le faire un
magazine. Par exemple, nous avons voulu traiter la question hongroise avant
les élections qui devaient se dérouler dans ce pays. Pour cela, nous avions
prévu d’interroger Didier Reynders, le commissaire européen à la justice. La
guerre en Ukraine nous a obligé à reporter le projet. Du coup, comme nous
n’y sommes allés qu’après les élections nous avons voulu savoir pourquoi les
Hongrois avaient beaucoup voté Orbán et nous avons demandé à László
Trócsányi, son ex-ministre de la justice, de nous expliquer la position de son
pays sur ses différends avec l’UE. Autre exemple : nous avons aussi choisi
d’aller en Lituanie, un pays situé aux confins de l’Europe, dont on parle peu
mais qui, en pleine guerre d’Ukraine, est aujourd’hui éminemment
stratégique. Gabrielius Landsbergis, son ministre des affaires étrangères,
nous a expliqué pourquoi il ne faut pas tarder pour intégrer dans l’OTAN les
pays qui en font la demande. Il nous a ensuite fait comprendre ce qui serait
arrivé à son pays s’il ne l’avait pas été. Nous prévoyons bientôt de nous
rendre en Serbie parce que nous pensons que c’est un endroit également
ultra stratégique dans un contexte général où on se remet à parler de
frontières, de sécurité, de défense, d’alliances en Europe, etc. Comme, en
plus, c’est un pays qui est candidat à l’UE, ce sera l’occasion d’expliquer le
processus d’adhésion.
De combien de personnes est constituée votre équipe et combien
d’émissions diffusez-vous par an ?
Nous sommes quatre personnes à plein temps et nous avons recours de
temps à temps à des journalistes de la rédaction de France Télévision, soit du
service étranger, soit de l’économie. Plus rarement nous effectuons quelques
achats à l’extérieur (trois ou quatre fois par saison). Nous proposons entre
vingt-cinq et vingt-huit émissions par an, soit environ trois par mois.
L’émission est diffusée après minuit le jeudi sur France 2 et vers
10h30 le dimanche matin sur France 3. Que pensez-vous de ces
horaires ?
Sur France 2, c’est une diffusion certes tardive mais nous sommes intégrés
dans la soirée des mag de la chaîne, après Envoyé spécial et Complément
d’enquête. Depuis la rentrée, on voit que les audiences augmentent.
L’émission sur la pêche en Islande, par exemple, a réuni 410.000
téléspectateurs, soit 7% de part d’audience sur cette case pourtant très
tardive. Du coup on est ravis. Bien sûr qu’on aimerait passer moins tard. Mais
on a une équipe, on a des moyens, on peut tourner à l’étranger, on a une
ligne éditoriale qui s’est densifiée et qui a sa propre identité. La question de
l’horaire n’est pas ce qui nous préoccupe le plus.
Delphine Ernotte, présidente de France Télévision, a annoncé la
suppression des journaux nationaux sur France 3 en septembre
prochain. Cela peut-il avoir des conséquences sur la pérennité de
votre magazine ?
Je ne le pense pas parce que « Nous les Européens » est d’abord une
émission de France 2. Est-ce que la rediffusion sur France 3 le dimanche va
continuer ? A priori oui. Par ailleurs, les journaux télévisés ne disparaîtront
pas de France 3, ils deviendront régionaux. Et rien ne les empêchera de
s’intéresser à l’action de l’Union européenne qui d’ailleurs cofinance
beaucoup de projets en région.
Pensez-vous que les Français s’intéressent à l’Europe comme un
sujet à part entière ?
Je pense que les Français sont relativement bien informés sur l’Europe. Mais
sur certains sujets, si on leur dit que cela vient de l’Union européenne, ils ne
veulent pas l’entendre. C’est le côté institutionnel et les aspects techniques
qui les effraient. On le voit dans les sondages ; il y a quelque chose d’un peu
schizophrénique : j’aime mais j’aime pas. En revanche, dès qu’on rend les
choses concrètes, qu’on montre ce que cela peut apporter, ils comprennent.
L’Ukraine est un bon exemple dans la mesure où ils voient les réactions
communes des pays membres. Cela fait vingt ans que je suis journaliste et
que j’ai vu beaucoup de pays changer grâce à l’Europe ; en ce qui concerne
le niveau de vie, les déplacements, les études, les libertés, le commerce, etc.
En réalité l’Europe est partout dans la vie quotidienne. Dans « Nous, les
Européens », nous défendons l’idée d’un continent soudé avec des valeurs.
Chaque semaine nous offrons à nos téléspectateurs une sorte de galeries de
portraits d’Européens qui s’investissent, qui font bouger les choses, qui
apportent une vision dans une Europe qui fonctionne, qui avance. En tant que
journaliste, nous voulons faire partager notre curiosité, rendre les choses
accessibles et donner envie d’aimer l’Europe.
Propos recueillis par Dominique Villars