Web conférence du 8 septembre // Laurent MARCHAND
• Publié le 11 septembre 2020 • Rubrique(s) Conférences - Débats, MDE
Laurent MARCHAND – chroniqueur de politique étrangère et directeur adjoint de la rédaction Ouest-France à Paris – est intervenu lors d’une web conférence tenue le 8 septembre 2020 sur le sujet suivant :
« Le plan de relance européen : 750 milliards d’euros : pourquoi, comment ? »
La crise sanitaire du COVID-19 est une question d’actualité primordiale qui a réuni les dirigeants des 27 Etats membres de l’Union européenne pour essayer de circonscrire ses conséquences. Afin de soutenir l’économie et de relancer la croissance, et fort des expériences des crises économiques de 2008 et de 2011, les 27 se sont mis d’accord sur un plan de relance européen de 750 milliards d’euros.
► L’historique du plan de relance :
Le 21 juillet 2020, dans un temps record, les 27 se sont mis d’accord sur l’initiative franco-allemande pour la relance européenne face à la crise du coronavirus. Malgré le fait qu’émettre une dette commune est un sujet tabou depuis des années, ils s’accordent pour franchir ce pas inédit.
Ce plan de relance de 750 milliards d’euros se divise en deux chapitre ; 360 milliards d’euros seront attribués sous forme de prêts, les échéances de remboursements des prêts vont courir de 2028 jusqu’à 2058, et 390 milliards d’euros sous forme de subventions non remboursables.
Cet accord a été pensé pour être adossé au cadre normatif déjà existant du Cadre Financier Pluriannuel 2021-2027 (CFP). Condition sine qua non pour que l’Allemagne accepte de revenir sur sa position de toujours.
► Retour en arrière :
Sous les présidences de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, on parlait des « eurobonds », des obligations du trésor européen, qui permettraient aux Etats membres de la zone euro d’emprunter ensemble. Cette idée est mise en avant pendant la crise financière de 2011 afin d’injecter à nouveau des liquidités sur le marché commun. Cependant ce projet fait face à la réticence de l’Allemagne, notamment, qui en vertu de sa rigueur budgétaire pouvait emprunter à des taux d’intérêts très faibles.
Désormais, 8 ans plus tard, Berlin accepte de faire ce pas vers une intégration plus poussée. Cela permet de proposer une solution proprement européenne, alors que lors de la crise grecque, le Fonds monétaire international fut impliqué aux côté de la Commission européenne et de la BCE dans le contrôle de la situation économique de la Grèce.
Une solution européenne ainsi qu’une utilisation massive des instruments européens permet de répondre rapidement à la crise sanitaire. L’enjeu est d’injecter rapidement des liquidités dans l’économie réelle, d’ici 2021/2022 pour pallier à la crise économique, sur le modèle de ce qu’avait fait les Etats-Unis en 2008.
► Un choix différent… :
Cette décision est prise comme si les leçons des crises économiques avaient été tirées, ainsi il s’agit d’afficher un front uni, une certaine solidarité, à l’inverse de la gestion de la crise grecque et des mesures terribles qui furent imposées au pays. La Grèce ainsi que les pays du sud ont mal vécu l’image de « cigale » qu’on leur a souvent opposé alors que cette caractérisation est simplement le fruit d’un rapport de force. Les pays dits « frugaux » privilégient l’austérité et la rigueur budgétaire pour répondre aux crises économiques plutôt que le keynésianisme. Désormais c’est le choix du keynesianisme qui est fait par l’Union, cela signifie un vrai choc qualitatif pour l’Union, un « moment hamiltonien »[1].
…Expliqué par un changement de contexte :
– L’Italie « too big to fail » : Il était important d’apporter une réponse commune et rapide pour éviter la spéculation. L’Italie fut le premier pays touché à devoir prendre des décisions radicales, comme suspendre toute l’activité économique d’un pays, quand personne ne pensait cela possible. Ce fut un choc, car l’Italie à l’inverse de la Grèce, est la deuxième industrie de l’Union Européenne et la troisième économie. Considérée « too big to fail », il s’agissait de venir en aide à l’Italie pour éviter une contagion.
C’est la prise en compte de ces facteurs qui entraine un changement de position de l’Allemagne. Le risque systémique que fait courir la situation italienne à l’Allemagne (30% de chaque Mercedes vient d’Italie, cuirs haut de gamme…), explique l’évolution en un temps record de sa position et l’accord franco-allemand du 18 mai. Cet accord marque un changement de cap vers une Europe plus keynésienne ; un saut qualitatif qui coupe l’herbe sous le pied des populistes.
– L’Europe : la marque de fabrique d’Emmanuel Macron : L’Allemagne est devenu grâce à l’élargissement de l’Union Européenne le numéro 1 des exportations, grâce également à son modèle économique basé sur l’austérité. Pendant ce temps, en France on désindustrialisait, et en 2005 l’opinion français s’est prononcé contre le traité établissant une constitution pour l’Europe. L’Union Européenne était devenue en France un sujet sous investi, ce qui était une erreur car c’est à Bruxelles que se prennent les décisions importantes.
Emmanuel Macron fait de l’Union Européenne sa marque de fabrique. Cela explique le lien du président français avec Angela Merkel, un lien de confiance basé sur une croyance commune en l’importance de l’Union Européenne.
Les dernières élections européennes, mettent le parti d’Emmanuel Macron au centre du jeu, les centristes et les libéraux (les marcheurs en France) gagnent des voies à Bruxelles. Ils deviennent une force incontournable au PPE et au PSE pour obtenir des accords à Bruxelles : il faut désormais tenir compte de Paris au Parlement Européen.
►Les modalités de mise en place de l’accord :
Chaque pays devra présenter un plan, avec certaines caractéristiques constantes, ainsi 30% des aides devront êtres liées à des politiques environnementales afin de respecter l’objectif de neutralité carbone de l’Union européenne d’ici 2050, développer le numérique, la croissance et la cohésion des territoires afin de combler les écarts entre régions.
Une autre nouveauté du plan, le respect de l’Etat de droit rentre désormais en compte et est nécessaire pour bénéficier du versement des aides. De manière générale, le respect de l’Etat de droit est régit par « l’article 7 » du TUE, qui peut aboutir à la mise au ban d’un pays de l’Union mais seulement si le Conseil européen vote à l’unanimité, ce qui est hautement improbable. Il faudra ici la majorité qualifiée.
► La validation des plans nationaux :
Les plans nationaux seront individuellement validés à la majorité qualifiée au niveau du Conseil européen (55% des Etats membres, représentant au moins 55% de la population européenne), le Parlement européen quant à lui opère à une validation d’ensemble. Comme le plan est adossé au Cadre financier pluriannuel et que de larges rabais de contributions ont été concédés aux Etats « frugaux », le Parlement européen va avoir à cœur d’asseoir son autorité en étudiant minutieusement les réductions d’enveloppes et les rabotages.
Questions // réponses :
– Comment est faite la répartition du plan entre les Etats membres, sur quelles bases et pourquoi ?
C’est en fonction de l’ampleur de la récession que vont devoir affronter les Etats à la suite de la crise du COVID-19 qu’ils vont bénéficier du plan de relance.
Emmanuel Macron et Angela Merkel ont participé à tout les négociations à deux ce qui est assez inédit. Les « frugaux » dont les finances publiques sont excédentaires ne sont pas très enclins à lier leur sort à des pays « dépensiers ». La solution fut donc d’augmenter leurs rabais sur les contributions européennes, par exemple le rabais de l’Autriche augmentera de 138% sur la période 2021-2027.
– En ce qui concerne les rabais, les français ont-ils mal négocié ? Que répondre à la question « la France va payer plus que ce qu’elle reçoit, et donc la France n’est pas gagnante » ?
La France va bénéficier de 40 milliards d’euros de subventions, mais elle sera également garante de la dette européenne qui est contractée en commun, pour une somme supérieure aux 40 milliards qui en fonction du PNB français équivaudrait à 65 milliards. Cependant, les échéances sont lointaines, les intérêts seront remboursés à partir de 2028 seulement et jusqu’à 2058. D’autant plus que la question des ressources propres a été développée, il s’agira de mettre en place des « impôts européens », (taxe sur l’usage des plastiques uniques, taxe sur les GAFA…), pour générer des ressources européennes propres, qui permettront à cet emprunt commun de se financer seul.
Dès lors, les échéances longues et impôts européens permettent d’étaler considérablement cette somme différentielle. On doit plus que ce qu’on prend, certes, mais à terme, la mise en place « d’impôts européens » devra permettre de rapporter selon les estimations entre 20 et 30 milliards d’euros par an.
La montée des tensions commerciales actuelles, implique que l’on va peut être vers une restauration des droits de douane. Le contexte international pourrait ainsi appuyer dans le sens d’une création « d’impôts européens », et lever ainsi les réticences de certains Etats.
► En ce qui concerne l’Allemagne :
- Qu’en est-il du risque qui consiste à occulter le chômage des séniors en Allemagne ?
Il y a une vraie fragilité au sein de sa société Allemande. Il ne faudrait pas grand-chose pour que certains pans de la société tombent dans la pauvreté. C’est la raison pour laquelle, le gouvernement allemand a très vite, dès le début de la crise du COVID-19 débloqué 155 milliards d’euros.
- L’Allemagne tourne-t-elle pour de bon le dos pour de bon à l’austérité ?
L’aile droite de la CDU reste sceptique quant à une politique keynesienne, mais depuis l’accord du 20 juillet, on remarque une certaine adhésion de la population allemande sur cet accord (autour des 2/3 de la population allemande selon les journaux allemands). En Allemagne, un débat très vif divise l’opinion publique et porte sur la relation avec la Russie, sur le projet du gazoduc Nord Stream 2, qui doit acheminer du gaz russe vers l’Allemagne et l’Europe.
Pour l’Allemagne qui est devenue une puissance économique et commerciale, mais qui reste relativement faible sur le plan de la puissance, il s’agit de ne pas se retrouver seule sur la scène internationale, l’espace européen est le cadre non négociable sur lequel se projette l’Allemagne dans le monde. Dès lors malgré les tiraillements de la CDU, le pays reste plutôt uni sur ce point.
► En ce qui concerne l’Union Européenne :
- Est-ce une si grande victoire d’endetter l’Union Européenne ?
La Banque centrale européenne (BCE) arrivait au terme de ce qu’elle pouvait faire. Ce que les politiciens n’avaient pas fait pour la Grèce, la BCE l’avait fait, nous nous rappellerons de Mario Draghi qui avait sauvé la zone euro avec sa phrase, « whatever it takes », en stoppant la spéculation. Cependant, la BCE ne peut pas faire de la politique à la place des hommes et des femmes politiques.
- N’est-ce pas contradictoire de s’endetter, si cela revient à octroyer des rabais de contributions à certains Etats membres et donc réduire le budget ?
Le budget est l’objet de négociations. On aurait pu augmenter le budget, mais il n’y avait pas la marge politique pour le faire. L’enjeu est de surmonter la crise sanitaire, de prendre le relais des amortisseurs sociaux, il faut investir dans des secteurs porteurs, pour bénéficier de gains de productivité. Le plan de relance est là pour ça. Ce plan de relance ressemble à un « plan Juncker bis », il s’agit de changer de modèle de production, faire de l’Union européenne un pôle d’innovation, dans une Europe interdépendante où les chaines logistiques ont lourdement pâti de la crise du COVID-19.
- Comment va-t-on vérifier que les fonds du plan de relance servent bien à investir et non pas à combler des budgets déficitaires ?
Des contrôles par pallier vont être mis en place. Si les investissements ne répondent pas aux conditions d’octroi, les tranches d’aides ultérieures ne seront pas versées.
- Quid de la réduction de budget du programme d’Erasmus?
Le budget est en recul par rapport à ce qui avait été prévu pour la période 2021 – 2027, cependant il est en augmentation par rapport au CFP de la période précédente. Il revient au Parlement européen de valider le CFP, d’étudier les potentielles coupes de budget et de rééquilibrer les choses. Par exemple, en ce qui concerne le projet de Green Deal ou de Pacte Vert européen, le Parlement européen aura à cœur d’étudier la méthode et le calendrier de cette transition, afin que l’on ne revienne pas sur les avancées de la PAC qui ont permis à l’Europe de devenir auto-suffisante sur le plan alimentaire.
- Il semble nécessaire de s’unir face à l’adversité, à qui va donc s’unir la Grande Bretagne ?
Cela dépend de quel point de vue on se place. Depuis le referendum de 2016, cela fait 7 ans qu’ils détricotent le meilleur accord qu’ils avaient. Ils sont eux-mêmes pris dans une contradiction ; ils sont proches d’une grande zone économique, qui est le marché unique, il sera très difficile qu’ils retirent un bénéfice de ce qu’ils ont décidé. Cependant, il semblerait que selon la posture classique, la Grande Bretagne se rapproche des Etats-Unis, du Canada, de la Nouvelle-Zélande. Cependant il semblerait que les questions commerciales et les questions stratégiques soient scindées, car malgré le Brexit le dialogue reste par exemple très ouvert entre la France et la Grande Bretagne.
Projet mené avec le soutien de Rennes Métropole