• « Je veux montrer que l’Europe est un grand pays » Marion Van Renterghem

     • Publié le 28 février 2024 • Rubrique(s) MDE

    A l’exception d’un détour par les Etats-Unis qui lui vaudra le prix Albert Londres, Marion Van Renterghem va consacrer l’essentiel de sa carrière de journaliste à l’Europe et se passionner tout particulièrement pour l’ex-chancelière d’Allemagne Angela Merkel. Aujourd’hui, elle assure une chronique dans le magazine L’Express

     

    Quand vous entrez au Monde en 1988, vous traitez quels types de sujets ?

    J’ai commencé comme critique littéraire stagiaire au Monde des livres. Puis, comme la littérature d’Europe de l’Est m’intéressait et que j’avais envie de vivre à l’étranger, je suis partie en Hongrie sur un coup de tête en 1993(1). A mon retour, j’ai fait des portraits d’écrivains, toujours pour le Monde des livres, puis j’ai rejoint le service « grands reportages » du journal pour lequel j’ai notamment couvert la guerre d’Irak… depuis Topeka dans le Kansas. Pendant un mois j’ai fait une chronique quotidienne de cette guerre vue de l’intérieur des Etats-Unis. J’ai trouvé ça génial.

     

    Vous n’êtes pas la seule à l’avoir apprécié, puisque ce travail vous a valu le Prix Albert Londres. Puis, vous vous êtes intéressée à l’Allemagne et surtout à Angela Merkel. Pourquoi ce pays et pourquoi cette passion pour sa chancelière ?

    A part un peu de « desk »(2) au Monde sur cette femme dont on savait juste qu’elle venait de l’Est, je ne connaissais pas grand-chose à l’Allemagne. Et bizarrement, c’est en couvrant la guerre du Kosovo que je m’y suis vraiment intéressée. Alors, que je me trouvais à la frontière avec l’Albanie, le hasard a fait que le contingent qui avait été choisi sur la zone par l’OTAN était allemand. Et quand un jeune officier m’a demandé mes papiers pour pouvoir traverser la frontière, je l’ai vécu comme un renversement agréable de l’Histoire. L’Allemagne était devenue une armée de libération ! Ca a été une sorte de déclic. J’ai aussitôt fait un grand papier dans Le Monde sur ce sujet. Et puis j’ai réalisé que les Allemands avaient aussi été capables d’élire une femme qui, en plus, venait de l’Est, un de mes principaux centres d’intérêt. C’est là qu’a commencé mon obsession pour elle.

     

    Bonne pioche, en effet, parce qu’elle va rester seize ans au pouvoir en Allemagne ; ce qui vous a permis de lui consacrer deux livres(3) et de nombreux articles, qui d’ailleurs vous vaudront de nouvelles récompenses dont le prix européen Louise Weiss…

    (sourire) Je ne pensais pas que ça allait durer aussi longtemps.

     

    En 2019, vous publiez « Mon Europe, je t’aime moi non plus ». Vous y faites un bilan de l’Europe trente ans après la chute du mur de Berlin. Est-ce pour vous aussi un premier bilan de carrière ?

    Oui, parce que pour moi aussi, cela faisait presque trente ans. J’ai publié ce livre au moment où j’étais déjà devenue journaliste indépendante. Puis j’ai commencé une chronique à L’Express sur l’Europe.

     

    Quel est le but de cette chronique ? Dire aux Français ce que peut leur apporter l’Europe ?

    C’est de raconter l’Europe. Pas de faire de l’optimisme béat et de dire ce qui n’est pas, mais de montrer que l’Europe est un grand pays qui nous est familier et pas une entité extérieure plantée à Bruxelles. C’est de dire que c’est nous et notre manière de vivre, qu’il y a autant de différences ou de similitudes entre un Français et un Slovène qu’entre un Parisien et un Marseillais.

     

    Cette chronique entre dans le cadre d’une rubrique « Europe » bien identifiée ; initiative unique, à ma connaissance, dans la presse magazine. Qu’est-ce que ça dit sur le plan éditorial ?

    En presse magazine ? Oui, vous avez raison. Quand on m’a proposé cette chronique, c’est ça qui m’a plu, c’est qu’il y a un vrai parti pris européen. Mais même s’il ne bénéficie pas d’une rubrique « Europe », ce parti pris existe aussi aux Echos, à l’Opinion ou au Monde. Au Monde, à une époque, j’avais même inauguré un service qui s’appelait « France-Europe » pour que les sujets Europe soient plus du côté de la France que du côté international, toujours avec la même idée que l’Europe n’est pas un machin lointain, que toutes les politiques européennes concernent la politique française.

     

    Et les autres médias ?

    En règle générale, la presse fait bien son travail sur l’Europe. Mais pas la télévision. Quand il y a une intervention importante au Parlement européen ou à la Commission, il n’y a rien. Et dernièrement, le fait que Viktor Orbán ait retiré son véto sur l’aide à l’Ukraine n’a même pas fait l’ouverture des JT.

     

    Comment les Français voient l’Europe aujourd’hui ?

    Ils ne comprennent rien. Je suis sidérée par leur méconnaissance. Je suis aussi sur Twitter (désormais X) et je suis effarée par les bêtises que je peux y lire sur l’Europe. Sans parler de ceux qui me haïssent : l’extrême gauche, l’extrême droite et les islamistes quand j’avais fait un article sur Tariq Ramadan. En ce moment c’est moins l’extrême gauche, car ils sont plus inexistants, que l’extrême droite qui me tombe dessus. Ce qui me frappe surtout c’est l’inculture. Par exemple, ils sont persuadés qu’on a menti en 2005 au moment du vote sur le Traité pour une constitution européenne. Ils pensent qu’on avait voté pour la dissolution de l’Union européenne !

     

    Que peut-on faire pour sensibiliser les plus jeunes aux questions européennes puisqu’ils sont très peu concernés par les médias traditionnels ?

    Je pense que c’est avant tout le travail de l’Education nationale. Je n’en reviens pas que parmi toutes les réformes qu’il y a eu, on n’ait jamais rien prévu sur l’Europe et ses institutions. Comme on apprend le rôle de l’Assemblée nationale ou du président de la République pour la France, on devrait apprendre le fonctionnement de l’Union européenne. C’est la base. En Allemagne, ils ont cette culture beaucoup plus que nous. Après il faut s’intéresser aux réseaux sociaux que les jeunes utilisent en rendant l’information intéressante. A mon petit niveau , j’essaie, sur X, de parler positivement de l’Europe, ce qui ne veut pas dire qu’il faille cacher la vérité. Ainsi, je poste régulièrement des infos, je peux me moquer du Brexit mais je montre les contre-exemples. Et je ne me prive pas de dire quand quelque chose est faux.

     

    Qui d’autres pourraient avoir un rôle à jouer pour informer les jeunes ? Les nouvelles figures comme HugoDécrypte, par exemple ?

    Oui, c’est une bonne idée. Les influenceurs, les nouveaux journalistes devraient s’en emparer.

     

    Quand les responsables politiques disent qu’ils ont « obtenu » ceci ou cela de Bruxelles, ne pensez-vous pas que cela ne montre pas vraiment que l’Europe est notre « grand pays (…) familier », comme vous dites, mais qu’il faut toujours se battre contre elle pour obtenir quelque chose et donc que cette « entité » est encore bien « extérieure » ?

    La dernière fois qu’on a entendu ce type de commentaire c’est quand Emmanuel Macron a défendu les agriculteurs au Conseil européen. Cela permet au moins de dire à ceux, qui croient qu’on subit tout, qu’on a quand même une influence et que ce sont bien les pays qui décident. Je pense aussi que ça montre que Bruxelles est une collectivité où la France a une voix qui porte.

     

    Dans votre dernier livre « Le piège Nord Stream »(4), vous démontrez comment certains responsables politiques européens se sont fait manipuler par Vladimir Poutine. Comment l’expliquez-vous ? Par naïveté, par appât du gain ?

     Je qualifierais tous ces responsables de « piégés volontaires » pour différentes raisons. Selon les personnes c’était par aveuglement, par complaisance ou par intérêt. Dans le cas des Allemands c’était essentiellement par intérêt à la fois politique et économique. Je pense même que Gerhard Schröder s’est persuadé qu’il le faisait aussi pour le bien de l’Allemagne.

     

    Est-ce que certains d’entre eux -je pense aussi à François Fillon- ont réagi après la sortie du livre ?

    Non, aucun.

     

    Vous proposez également dans cet ouvrage plusieurs scenarios pour expliquer le sabotage du gazoduc Nord Stream ; mais sans en privilégier aucun. En revanche, The Washington Post et Der Spiegel défendent une thèse qui impliquerait l’armée ukrainienne mais pas Volodymyr Zelensky qui n’aurait pas été averti. Que pensez-vous de cette version ?

    L’hypothèse ukrainienne est envisageable de deux façons. Soit c’est passionnel, c’est-à-dire motivé par la haine d’un tuyau qui allait désormais enjamber leur pays. Soit, et c’est la thèse que retiennent les journaux, c’est une histoire de politique intérieure. La rivalité entre Valeri Zaloujny, chef d’état-major de l’armée ukrainienne(5), et Volodymyr Zelensky est connue. Selon les deux quotidiens Valeri Zaloujny l’aurait fait au début de la guerre pour régler ses comptes. J’attends de voir mais je pense qu’on ne saura jamais la vérité.

     

    Qu’attendez-vous des prochaines élections européennes en juin prochain ?

    Qu’on limite les dégâts. Parce que tout ce qui se passe ces derniers temps favorise l’extrême droite en France : la baisse du pouvoir d’achat, la crise des agriculteurs, la loi immigration, etc. Du coup c’est compliqué d’inverser la tendance.

     

    L’extrême droite ne progresse pas qu’en France. Si les deux groupes qui la représentent au Parlement européen finissent par être majoritaires, est-ce que l’UE pourra fonctionner ?

    A moins d’un tsunami, je ne pense pas qu’ils seront majoritaires. Et l’avantage c’est qu’ils sont incapables de se coaliser. Donc même s’ils pourront bloquer pas mal de choses, l’UE continuera à fonctionner. A mon avis, c’est moins l’élection du Parlement qui va changer les choses que l’élection américaine. Il y a déjà neuf pays en Europe où l’extrême droite est en tête et autant où elle est en deuxième position. Si Trump est réélu, certaines de ces forces se sentiront encore plus puissantes et ça fera une grosse tache brune au Parlement.

     

    Dans une de vos chroniques parues dans L’Express, vous dites aussi : « Du retour de Trump dépendront (…) les rapports de force mondiaux et la capacité de l’Union européenne à assurer sa sécurité et sa défense (…). Sinon elle sera dévorée par les autocrates ». « Dévorée », c’est fort…

    Vous avez raison. Peut-être que c’est un peu appuyé mais je pense que les démocraties sont en réel danger. En même temps, si Trump passe c’est peut-être une chance parce que ça nous permet de nous mobiliser. Je note déjà plusieurs alarmes comme la déclaration du chef du comité militaire de l’OTAN(6). Par ailleurs, cette fois, on sent que les Européens ont compris que la guerre en Ukraine les concernait et que l’Amérique ne serait peut-être plus là pour les protéger. Et on a la chance d’avoir un Thierry Breton (NDLR : commissaire européen au marché intérieur) incroyablement énergique et dynamique qui est en train de mettre en place une production industrielle au niveau européen. Il vient de confirmer qu’on serait à même de produire dès le mois de mars 1,3 million d’obus d’ici à la fin de l’année. Enfin, les 50 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine pour les quatre prochaines années ont fini par être votés à l’unanimité.

     

    Propos recueillis par Dominique Villars

     

    1 Marion Van Renterghem découvre, à cette occasion, un certain Viktor Orbán dont elle décrira le parcours et fera un portrait passionnant, « de Victor à Orbán », dans son livre « L’Europe je t’aime moi non plus » paru chez Stock en 2019.

    2 Le journaliste de « desk » traite du « bureau » des informations en provenance de différentes sources.

    3 « Angela Merkel, l’OVNI politique » en 2017, Les Arènes et « C’était Merkel », en 2021, Les Arènes.

    4 « Le piège Nord Sream », en 2023, Les Arènes.

    5 Depuis notre entretien, Valeri Zaloujny, chef d’état-major de l’armée ukrainienne, a été limogé par Volodymyr Zelensky. Il a été remplacé par Oleksandr Syrsky.

    6 Marion Van Renterghem fait référence à la déclaration de l’amiral Rob Bauer, chef du comité militaire de l’OTAN, du 19 janvier dernier, invitant les civils à se préparer à une éventuelle guerre mondiale : « Vous devez stocker de l’eau, avoir une radio à piles et une lampe électrique pour pouvoir survivre les trente-six premières heures à une guerre contre la Russie et les groupes terroristes. »Thumbnail Marion Van Renterghem

     

     

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