• Web conférence du 1er juillet 2020 // Pierre KARLESKIND

     • Publié le 7 juillet 2020 • Rubrique(s) MDE

    Webinaire KarleskindPierre KARLESKIND – Député européen, Président de la Commission pêche au Parlement européen – est intervenu lors d’une web conférence tenue le 1er juillet 2020 sur le sujet suivant :
    « Les politiques européennes concernant la pêche et la mer, après le Brexit en particulier ».
    Le Parlement européen : regard d’un nouveau député

    Pierre Karleskind côtoie le Parlement européen depuis plus de 10 ans, d’abord comme élu au Conseil Régional de Bretagne, puis maintenant comme député européen. En tant que conseiller régional de Bretagne, il porte des enjeux essentiels à la Bretagne, cependant il vient de l’est de la France, de Moselle, une région qui a vécu les tourments de l’Europe.

    Avec cette nouvelle fonction il prend conscience qu’au Parlement européen on est « partout en Europe et nulle part à la fois ». Autrement dit, le Parlement regroupe du personnel (représentants élus, assistants parlementaires, fonctionnaires) qui viennent des 27 États membres, il n’y a dès lors pas de culture dominante (et c’est peut-être tant mieux) à laquelle il est nécessaire de s’adapter.

    La Politique Maritime Intégrée et ses enjeux à l’orée du nouveau budget 2021 – 2027, notamment dans le cadre du Green Deal

    La mer représente des enjeux de souveraineté énormes pour l’Union. Ainsi, si on regroupe les zones maritimes exclusives des pays membres de l’Union cela en fait la première zone maritime exclusive au monde. La mer est la principale interface de l’Union avec le reste du monde, et 75% des marchandises importées dans l’Union arrivent via la mer. Et pour la communication et les nouvelles technologies, 90% des informations que nous recevons sur nos ordinateurs passent par un câble marin.

    Ces enjeux ont bien été pris en compte, sous l’impulsion du Président de la Commission, M. Barroso (2004 – 2014). Fort de son expérience en tant qu’ancien premier ministre d’un pays marin comme le Portugal, il a porté l’idée de la Politique Maritime Intégrée : il s’agissait de faire en sorte que l’Europe se saisisse de ses atouts maritimes. La stratégie « croissance bleue » a été mise en place, afin d’intégrer les questions maritimes à l’agenda politique international et de soutenir une croissance durable dans le secteur maritime ; à noter que le développement de l’aquaculture devait constituer le cœur de cette stratégie.

    Sous la Commission Juncker (2014 – 2019) furent mis en œuvre des éléments de cette Politique Maritime Intégrée. Cependant les réalisations en la matière sont largement sujettes à la volonté des États membres, ainsi qu’à leur capacité à les articuler avec les acteurs sur le terrain.

    Désormais, sous la présidence d’Ursula Von der Leyen, les enjeux marins se retrouvent dans une moindre mesure au sein de la stratégie « Farm to fork » qui constitue le cœur de la stratégie du Green Deal. La nouvelle présidence de la Commission n’innove pas sur le sujet en question, et ne prend peut-être pas assez conscience des enjeux. Cette stratégie qui vise à aller « vers un système alimentaire de l’Union plus sain et plus durable », prend en compte les enjeux marins sous le biais de l’alimentation et omet d’autres aspects. Par exemple, en matière de tourisme, les littoraux européens constituent seulement 4% du territoire de l’Union, mais représente 40% de l’emploi dans le secteur touristique.

    On retrouve également les enjeux marins dans la Stratégie Biodiversité de la présidence actuelle, il est entre autres, question de transformer des littoraux en « aires marines protégées » et en « aires marines très protégées » afin de les préserver. Cependant, la biodiversité marine pâtit de la pollution terrestre qui représente 80% de la pollution en mer. Or ce problème n’est pas repris par la Stratégie Biodiversité.

    Ainsi, selon Pierre Karleskind, il ne se dégage pas une vision maritime dans le cadre financier pluriannuel 2021 – 2027, telle qu’elle avait mise sur la table par les précédentes Commissions.

     La Politique Commune de la pêche : mise en commun des zones économiques exclusives ; gestion commune et durable de la ressource

    En ce qui concerne l’organisation commune des marchés de la pêche : l’organisation des marchés a été adoptée il y a moins de 10 ans (via une procédure législative ordinaire), conjointement par le Conseil et Parlement. Ils ont validé la proposition dans les mêmes termes, dont la proposition de quotas afin de pêcher au rendement maximum durable. Cette organisation fonctionnait bien, cependant la crise du COVID a posé quelques problèmes. Le premier réflexe des États membres fut d’acheter des produits de première nécessité, comme le riz ou les pâtes et non pas du poisson frais. Cela a induit une crise de confiance, les pêcheurs ne sortaient plus en mer de peur de ne pouvoir trouver des débouchés pour vendre leur poisson. 

    Si cela faisait plusieurs années que l’Union essayait globalement de se défaire des outils d’intervention sur le marché, la crise du COVID rendit nécessaire une réintroduction des mécanismes d’intervention. Il s’agissait  d’apporter une aide aux pêcheurs qui désiraient rester à quai, et à ceux qui prenaient le risque de sortir, et en matière de stockage de ne pas jeter de poisson pour lequel les pêcheurs n’auraient pas trouvé de débouchés.

    En matière de gestion durable des ressources halieutiques, l’Union à mis en place des mesures très contraignantes, visibles à plusieurs niveaux. Les formats de flottes de pêches ont été réduites ; même si certains pêcheurs ont pu en pâtir, l’objectif à long terme de cette politique commune est d’arriver à des stocks de poissons renouvelables, comme c’est le cas dans l’Atlantique nord-est, où la biomasse des poissons a augmenté de 50% depuis le début de la mise en place de cette politique.

    L’année 2020 était celle où tous les stocks de poissons de l’Union auraient dû arriver à ce rendement maximum durable ; mais si l’Atlantique nord-est est un exemple fructueux, ce n’est pas le cas partout. Ainsi, dans la Méditerranée, 90% des poissons sont sur-péchés, seulement l’Espadon et le Thon rouge disposent de quotas qui vont permettre à terme la reconstitution des stocks.

     Les accords bilatéraux avec des pays non-membres de l’Union

    Il existe également des accords bilatéraux avec des pays extra-européens pour la gestion des ressources halieutiques. Cela concerna la Norvège, ainsi que des pays africains, entre autres : la Mauritanie et le Sénégal.

    Ces accords de pêche comprennent 4 éléments :

    1. ils établissent ce que les parties s’autorisent à pêcher dans les eaux concernées. C’est un point essentiel car cette décision est prise à partir d’avis d’experts scientifiques, pour que l’objectif fixé permette le renouvellement des ressources halieutiques. Négocier chaque année, c’est un point essentiel pour assurer la durabilité des ressources halieutiques.
    2. ils comprennent les quotas sur lesquels les deux parties se sont mises d’accord. Autrement dit dans le cas d’un accord de pêche avec la Norvège, il est fait mention de ce que les pêcheurs européens peuvent pêcher dans les eaux norvégiennes et inversement. Ces quotas ne sont pas négociés chaque année, pour permettre aux chefs d’entreprise d’avoir une certaine visibilité.
    3. l’accord précise les bateaux qui sont autorisés à naviguer et pêcher dans les zones économiques exclusives en question. Les autorisations ne sont ici pas non plus négociées chaque année.
    4. une attention particulière est désormais faite à la bonne allocation des fonds prêtés aux pays du Sud pour pêcher local.
    Le Brexit et son impact en cas de non-accord ?

    Les Britanniques demandent de négocier annuellement les mesures détaillées ci-dessus, notamment les totaux annuels de capture (1), les quotas (2), et les navires qui peuvent rentrer dans leur zone économique exclusive (3). La mise en place de ces demandes n’est pas envisageable dans la mesure où selon Pierre Karleskind, 100 stocks de poissons sont partagés entre les eaux britanniques et européennes, une négociation annuelle demanderait un travail considérable. Dès lors, les négociations avec le Royaume-Uni en vue de l’obtention d’un accord pêche dans le cadre du Brexit sont compliquées. C’est un enjeu pourtant essentiel pour les pêcheurs bretons, entre 30 et 40% de ce qu’ils pêchent provient des eaux britanniques, et cela représente 50 pour-cent en Normandie.

    À la vue de ces enjeux, le Parlement Européen va se battre pour que la pêche ne soit pas laissée pour compte dans l’accord commercial de sortie ; le Parlement européen a adopté une résolution qui stipule qu’aucun accord ne serait approuvé s’il n’y a pas d’accord pêche qui prend dûment en compte ces enjeux. Position qui a été exprimée à Michel Barnier lors de la dernière session des négociations.

    Un autre point d’achoppement concerne les critères sanitaires, sociaux, environnementaux que les Européens pourraient vouloir imposer au Royaume Uni. Ainsi il n’est pas question que les entreprises européennes soit concurrencées par des entreprises britanniques qui n’auraient pas à appliquer ces normes.

    Le Royaume Uni revendique actuellement tous les poissons qui se trouvent dans leur zone économique exclusive (zone rose ci-dessous), et que ceux dans les eaux européennes (zone bleue ci-dessous) reviennent à l’Union. L’Union quant à elle, souhaite la stabilité, conserver ce qui avait été négocié. En droit international public, un principe fondamental du droit de la mer stipule que les droits historiques et les antériorités prévalent. Ainsi on ne peut concevoir un modèle où on passerait d’une organisation où le Royaume Uni est partie prenante à un accord où le pays récupérerait tout.

    Cela est d’autant plus vrai, que lorsque Royaume Uni est entré dans l’Union, les zones économiques exclusives n’existaient pas ; elles existent seulement depuis les années 1990. Le pays entre dans l’Union sans droit sur ces zones, et par la suite participe largement à leur mise en place, moment auquel les Britanniques auraient dû faire valoir leurs demandes et revendications.

    Les Îles Anglo-normandes, sont un autre enjeu sur lequel vont devoir s’accorder le Royaume Uni et l’Union dans cet accord pêche. C’est un territoire qui dépend de la Couronne britannique, il était prévu dans la Convention de Londres (1975) que les pêcheurs bretons aient accès aux mers territoriales (jusqu’à 12 milles marins) de ces Îles. Accord sur lequel seraient revenus les Britanniques. Dès lors le sort des Îles Anglo-normandes sera également réglé par l’accord de pêche.

    La répartition des étapes de pêche entre l’Union et le Royaume Uni

    Dans le « cycle de pêche », il existe approximativement quatre niveaux : la capture, le débarquement, la transformation, et la consommation des poissons dont les étapes étaient réparties entre les deux protagonistes. Ainsi, dans les ports bretons, sont débarqués des poissons qui viennent des eaux britanniques, plus précisément, du nord de la Manche, mais également du nord de l’Irlande, et de l’ouest de l’Écosse. En ce qui concerne ces deux dernières localisations, les poissons sont débarqués en base avancée dans les ports écossais et irlandais et reviennent en Bretagne par la route et par bateaux. Ce débarquement est nécessaire, car les bateaux de pêche ne sont pas des bateaux de transports. Ensuite, les poissons sont transformés et vendus sur les marchés français, car la consommation se fait majoritairement sur notre territoire français et européen, les britanniques consomment moins de poisson et surtout pas les mêmes espèces.

    On ne dispose pas encore d’assez d’éléments pour savoir si demain les britanniques voudront récupérer une partie de la transformation sur leur territoire. Cependant les entreprises de transformation sont déjà largement implantées en Europe, en Bretagne par exemple. Cela n’aurait aucun sens de les déplacer de l’autre côté de la Manche. Si on peut accepter d’acheter plus de poissons aux Britanniques, il ne sera pas accepté de perdre le travail lié à la transformation. Pour convaincre les Britanniques de conserver le statu quo, l’Union pourra mettre en avant le fait que, plus votre produit est transformé plus le droit de douane qu’on peut imposer sur son importation peut être important.

     Le Fond européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP)

    Comme l’ensemble des fonds européens, celui-ci est adossé au Cadre financier pluriannuel (CFP). Celui de la période qui se termine (2014 – 2020), a doté la France de 588 millions d’euros pour soutenir ses activités halieutiques. En ce qui concerne les dotations du FEAMP sur la période 2021-2027, le Parlement européen doit attendre que le Conseil prenne sa décision les 17 et 18 juillet.

    Le budget alloué à ce fond va être renforcé ? Va-t-il être suffisant compte tenu de l’importance de ce secteur ?

    L’Union dispose seulement d’une compétence exclusive en ce qui concerne la pêche et l’aquaculture, mais pas en ce qui concerne les affaires liées au maritime. Le fond est donc très orienté pêche et aquaculture, seulement 10 pour-cent est alloué à la Politique Maritime Intégrée. Ce problème existe également sous la présidence de la Commission actuelle : il n’y a pas d’impulsion financière suffisante selon Pierre Karleskind sur la Politique Maritime Intégrée.

    Une gestion locale du FEAMP ?

    Le Parlement européen soutien la demande de pouvoir gérer le FEAMP au niveau régional et pas national. Pierre Karleskind y est très favorable, en tant qu’ancien Vice-président de la région Bretagne, les élus locaux et territoriaux sont plus au fait des attentes de ceux qui vont en bénéficier sur le territoire. Cependant le Conseil, qui regroupe les chefs d’États et de gouvernement y est fortement opposé, ils ne veulent pas déléguer ces prérogatives.

    Les océans représentent 71% de la surface de la Terre. Nous en sommes dépendants pour réguler la température de la Terre, pour la production de 50% de l’oxygène que nous respirons, pour soutenir la majeure partie de la biodiversité de notre planète. Or l’activité humaine impacte son bon fonctionnement, la pollution terrestre représente 80% de la pollution en mer. Il est donc nécessaire que des élus européens soulignent l’importance de la prise en compte de ces enjeux.

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