Web conférence du 27 mai 2020 // Jean-Dominique Giuliani
• Publié le 3 juin 2020 • Rubrique(s) Actualités de la Maison de l'Europe, Conférences - Débats
Monsieur Jean Dominique Giuliani, Président de la Fondation Robert Schuman,
est intervenu sur le thème :
« Face à la pandémie, qu’a fait l’Union européenne pour soutenir l’économie européenne
et que peut-elle faire pour l’aider à se reconstruire ? »
Deux remarques préliminaires :
1°/ Tout projet européen ne peut se juger que dans le temps long et pas dans l’immédiat. Pour apprécier la situation, nous avons besoin de recul.
2°/ L’UE est méconnue. Robert Schuman a porté sur les fonds baptismaux les fondations d’une Communauté d’Etats qui depuis se structure … Mais aujourd’hui nous sommes tellement habitués à ce cadre qu’est l’UE, à ses appuis, au confort qu’elle offre, ainsi qu’à sa monnaie stable, qu’on ne voit plus ce qu’elle apporte.
OÙ EN SOMMES-NOUS ?
La construction de l’UE s’est faite « pas à pas », en organisant tout d’abord une action commune, concrète, modeste qui en a entrainé d’autres. Ceci explique l’inachèvement actuel de la construction européenne. Il y a eu la CECA en 1951, le marché commun en 1957, la PAC, la politique commerciale avec un marché intérieur sans frontières, une BCE indépendante … et aujourd’hui nous continuons de construire, de consolider cette Union au vue des besoins que rencontrent ses Etats membres confrontés aux vents du monde.
Nous sommes dans un moment de bascule entre nos méthodes d’autrefois et la coopération indispensable à notre survie. Nous devons aller vers un système de plus en plus intégré, si nous voulons rester au cœur du monde. Ceci exige de réussir à prendre des décisions solidairement, tout en respectant nos identités, nos traditions différentes (ce qui rend notre fonctionnement difficile à comprendre). Mais, aujourd’hui, cette avancée est plus nécessaire que jamais car nous sommes face à de nouveaux défis qu’il nous faut maîtriser comme ceux de la défense européenne, de la révolution démographique, des migrations, les pandémies… Forts des valeurs qui nous animent, n’ayons pas peur, car face aux grandes puissances comme la Chine, même si nous sommes un petit Etat par notre taille, au sein de l’UE notre démographie représente 470 millions d’habitants et nous sommes la 1ère puissance commerciale du monde.
QU’AVONS-NOUS FAIT FACE À LA PANDÉMIE ?
Le premier mouvement de peur, de crainte face à ce virus s’est manifesté par un repli au niveau des Etats membres de l’UE, repli excessif ou non, les scientifiques ne pouvant cerner sa réalité, l’avenir nous le dira. Ce mouvement a entraîné les gouvernements du monde entier à ordonner des confinements et, en quelques semaines, le moteur économique et social des sociétés s’est arrêté : quelque chose d’inédit ! L’ampleur de la peur et les mesures prises ont provoqué presque partout la fermeture des frontières. Etait-ce aussi un appel au retour de l’Etat ou au contraire un appel à s’ouvrir ? En fait, pendant cette période, l’Etat, dans chaque pays, a montré ses limites : il a échoué à protéger le citoyen du virus, comme l’a dit Angela Merkel. L’Etat, en effet, n’a pas réussi à couvrir l’ensemble de nos besoin : et, lorsque l’Etat n’avait manifestement pas les moyens de nous protéger et de nous soigner, nous avons spontanément choisi d’apporter nos savoir-faire, de coopérer avec nos proches.
En ce sens, cela nous rappelle la position des Pères fondateurs de l’UE, qui, à un moment très sensible, ont eu le courage et la volonté, pour surmonter les difficultés, d’unir leurs forces.
Ce premier mouvement qui a rappelé ce que peut être l’Europe des Nations a été un « premier grand bazar ».
Heureusement est arrivé un 2ème mouvement européen et international :
- Mis devant le constat que les États ne pouvaient s’en sortir seuls, les ministres de finances ont réussi à organiser avec la coopération active de la Commission, les modalités d’une aide de 2400 milliards d’euros pour les États qui en auraient besoin, et de bien d’autres mesures.
- Par ailleurs, constatant que les États, seuls, ne pouvaient faire face à un événement d’une telle ampleur, la Commission a mis entre parenthèse toutes ses règles pour faciliter la mise en place de ces aides aux États, même si le social n’était pas de sa compétence.
- Devant la crise économique qui se profilait, après de nombreux débats depuis plusieurs semaines, la Chancelière, Angela Merkel, et le Président, Emmanuel Macron, ont convaincu le Conseil de faire un pas décisif pour que l’Union européenne surpasse les difficultés qui se profilaient. Il s’agissait, dans le cadre d’un plan de relance de l’économie, d’autoriser l’UE à emprunter 750 Milliards d’euros, au nom du bloc des 27 États membres, dont 500 milliards sur son budget propre et non redistribués sous forme de prêt mais de subventions, pour ne pas alourdir le niveau d’endettement de certains pays. Persuadés aussi qu’ils étaient qu’en additionnant leurs forces, ils obtiendraient des conditions plus favorables pour lever des Fonds que chacun pris séparément. Il ne reste maintenant qu’à additionner nos forces pour réussir à innover. Cet apport permettra que l’argent circule pour éviter les blocages.
PERSPECTIVES ?
Maintenant il faut finaliser le budget européen pour les 7 années à venir, budget dans lequel on inclura toutes ces évolutions. Ensuite aux États membres et aux Institutions européennes de jouer le jeu :
- Les règles d’avant ne tenant pas face à la situation actuelle : il nous faudra sortir du culte de la croissance, prendre mieux en compte les initiatives locales, mettre en place un système de gouvernance plus fluide, avec moins de rigidités. Mais ces propositions de la Commission se heurtent encore à la culture des différents États membres
- De plus les moyens mobilisés de façon exceptionnelle doivent être bien orientés : la Commission européenne doit être la garante que tout le monde sera traité de la même manière. Il faut maintenant dépenser vite et bien.
Mais il reste encore tant à faire par exemple: réussir à relever le niveau de la recherche dans le secteur du numérique, de la technologie et pour cela y mettre les moyens financiers nécessaires ; arriver à agir correctement dans ces domaines ouvrira des perspectives très intéressantes. Nous aurons aussi à adapter les règles que nous nous sommes données face aux situations difficiles que rencontrent certaines professions, aujourd’hui
UN APPEL EN GUISE DE CONCLUSION
Mais à tout cela nous devons pouvoir exprimer la fierté d’appartenir à ce grand ensemble, que représente l’Union européenne, ce pôle inestimable de notre humanité qui n’a pas sombré dans le populisme, mais qui reste le modèle d’une société libre et solidaire. Ne rêvons pas : nous avons ce modèle, nous y sommes attaché. Il reste maintenant à le promouvoir, ceci est à l’agenda de la Commission avec ses perspectives ambitieuses.
N’oublions pas que l’Europe est le « cœur du monde ». Elle a inventé la mondialisation. Tout en restant ce modèle de liberté qui développe des solidarités. Nous en sommes le « cœur vivant avec son héritage culturel, politique et social généreux ». Le défendre, le promouvoir et être capable de prendre des décisions même si elles n’apparaissent pas immédiatement positives… C’est là où il faut du courage.
Notes de conférence de Jeanne-Françoise Hutin