• Europe : l’indispensable réforme

     • Publié le 1 juillet 2019 • Rubrique(s) Tout sur l'Europe

    Dans son dernier ouvrage, « L’Europe indispensable », Nicole Gnesotto, professeure au Conservatoire national des arts et métiers, explique que non seulement l’Europe n’était pas armée pour faire face aux changements du monde mais qu’en plus, elle a fait l’erreur de privilégier l’économie et le consommateur au détriment du politique et du citoyen. Pour éviter, maintenant, l’écueil du populisme, elle propose des réformes en profondeur qui doivent passer par une forte volonté politique, une souveraineté stratégique assumée et une vigilance démocratique de tous les instants.

    L’Europe ferait-elle les frais des bouleversements du monde? Oui, détaille Nicole Gnesotto*, dans son livre « L’Europe indispensable** » : « La crise de l’Europe n’est pas seulement une affaire européenne (…). Elle est d’abord le produit d’un changement phénoménal qui affecte toutes les dimensions de notre vie sociale et personnelle (…) : nos modes de consommation et de production de richesses, nos sentiments d’appartenance identitaire ainsi que notre contrat social. (…) Mais comme les structures de l’Union européenne, ses politiques, ses habitudes ne l’avaient pas préparée à ces évolutions, elle n’a pas su apporter de réponses efficaces aux effets négatifs de la mondialisation, analyse-t-elle. Or, bien qu’ayant permis au monde de s’enrichir et aux personnes de se rapprocher, celle-ci a accru les inégalités entre perdants et gagnants et amplifié les différences culturelles et les crispations identitaires. »

    Ensuite, la professeure dénonce la priorité qui a été donnée à « l’idéologie du marché unique » sans tenir compte de l’avis des citoyens (sur l’élargissement ou les accords commerciaux) ou de leurs souffrances (politique d’austérité). Un choix qui était censé, pensait-on, conduire naturellement à une solidarité politique et une extension de la démocratie mais qui a eu l’effet inverse : « une attraction redoutable pour l’autoritarisme populiste et une adhésion à des idéologies extrémistes », constate-t-elle. Au point que dix pays européens sont aujourd’hui dirigés par l’extrême droite ou comptent dans leurs gouvernements des personnes issues de ses rangs. « Fallait-il privilégier le marché ou la démocratie ? », s’insurge Nicole Gnesotto qui redoute maintenant que le laxisme de l’Union à l’égard des atteintes à l’état de droit (notamment en Pologne et en Hongrie) ne lui soit fatale.

    L’heure est donc venue de faire des propositions. Et elles sont radicales. Pour relever l’Europe Nicole Gnesotto veut s’attaquer à trois fronts. D’abord la précarité. Pour cela, point de « démondialisation » ni de protectionnisme comme le préconisent les populistes mais une redistribution collective, avec notamment la mise en place d’un fonds européen anti-chômage dont les sommes devront être versées directement aux chômeurs. Ensuite, la souveraineté qu’elle souhaite garantir à l’Union en l’émancipant des Etats-Unis sur les plans militaire (pour faire suite à la création récente d’un fonds européen de défense), commercial (pour être en mesure d’imposer des sanctions), numérique, énergétique, etc. ; l’idée étant de parvenir à une autonomie totale de décision (pour « se désolidariser de Donald Trump quand il dénonce l’accord sur l’Iran »). Enfin, la démocratie. « Qui aurait pu imaginer, avant 2008, qu’[elle] serait en danger en Europe ? », se désole l’auteure. Pour organiser « la résistance démocratique », Nicole Gnesotto ne croit pas qu’il faille opposer progressistes et nationalistes parce que la notion de nation n’appartient pas à l’extrême droite (…), ni stigmatiser les leaders populistes qui profitent de la vulnérabilité des citoyens pour nourrir leur rhétorique xénophobe (…) et leurs mensonges. Pour être efficace elle pense qu’il faut surtout dissoudre le terreau qui leur est favorable. « Pourquoi le besoin d’autorité refleurit en Europe ?, s’interroge-t-elle, tout en proposant quelques réponses : « Parce que nous avons failli collectivement dans la gestion des réfugiés et dans la prise en compte des inégalités croissantes ». Puis, elle insiste sur l’autre urgence : « Il nous faut aussi chasser avec détermination et constance toutes les atteintes à l’état de droit en assumant de sanctionner les pays concernés. Comme il faut l’unanimité des membres pour en condamner un, il ne reste que la pression financière. Or, la Pologne, pour ne citer qu’elle, touche 15 milliards d’euros par an, soit 4% de son PIB ! (…) En échange de la solidarité économique, exigeons la solidarité politique. Ou cessons les versements. »

    Autant de défis à relever par une Europe qu’elle juge « indispensable » car elle est, selon elle, l’échelon le plus pertinent pour faire face à la concurrence économique des Etat-Unis ou de la Chine (avec 19% du PIB mondial et 20% des échanges commerciaux), pour être écoutée sur les questions éthiques notamment en matière de manipulation génétique ou d’intelligence artificielle et pour peser sur la gouvernance de l’Internet ou sur la gestion des ressources naturelles et de l’exploitation des pôles. Ensuite, car elle est un modèle de société qui réunit démocratie, libéralisme, Etat-providence. Où les notions d’état de droit et de représentativité des élus protègent le peuple contre les dérives totalitaires des démocraties directes et des régimes autoritaires. Enfin où la liberté économique ne peut s’exercer que dans le cadre de règles et d’institutions.

    Pour Nicole Gnesotto, l’alternative est aussi simple que fondamentale : soit les Européens s’unissent pour pouvoir influencer le monde, soit ils n’y parviennent pas et subiront les décisions des autres. D.V.

    *Nicole Gnesotto est titulaire de la chaire sur l’Union européenne au Conservatoire national des arts et métiers. Elle est aussi vice-présidente de l’Institut Jacques Delors.

    **CNRS Editions.

     

    DV.

     

    L Europe Indispensable

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