NOUVELLE INTERVIEW ! Florentin Collomp : « Une Europe plus stratégique et plus proche du citoyen »
• Publié le 11 juillet 2023 • Rubrique(s) MDE
Florentin Collomp, le « monsieur Europe » du Figaro, a été pendant huit ans correspondant à Londres de son journal. Un double observatoire qui lui permet aujourd’hui d’analyser avec une acuité particulière les relations de l’Union européenne avec… tous ses voisins
Au Figaro, vous êtes chargé de l’économie et de l’Europe. Etes-vous le seul journaliste spécialisé dans les questions européennes au sein de la rédaction parisienne (donc sans compter la correspondance à Bruxelles) ?
Oui, je suis le seul à avoir cette casquette Europe dans la rédaction. Mais il y a d’autres journalistes qui écrivent parfois sur l’Europe, notamment un au service étranger chargé de la diplomatie en général.
Depuis combien de temps le journal vous a confié cette mission européenne ?
Depuis bientôt quatre ans, c’est-à-dire depuis que je suis rentré de Londres en septembre 2019.
Etes-vous le premier journaliste spécialisé sur l’Europe ou cela correspondait déjà à une volonté éditoriale du quotidien ?
Auparavant, un journaliste suivait ces sujets. Mais après son départ à la BCE (banque centrale européenne, ndlr), il avait été identifié qu’il manquait quelqu’un pour couvrir les questions économiques transversales liées à l’Europe. Comme le journal souhaitait attribuer ce travail à une personne en particulier, il s’est bien agi d’une création de poste.
Qu’est-ce qui vous a conduit personnellement à vous intéresser plus particulièrement aux problématiques européennes ?
C’est un fil conducteur de ma carrière de journaliste même si je n’ai pas toujours écrit sur l’Europe. Dans mes études de journaliste, au CFJ (Centre de formation des journalistes à Paris, ndlr), j’ai fait une filière européenne qui prévoyait en deuxième année un renforcement sur les sujets européens, des stages dans l’Union européenne et des séminaires auprès des institutions européennes. J’étais donc déjà destiné à ça et tout au long de ma carrière j’ai continué à m’y intéresser.
Je n’ai pas vu de rubrique « Europe » dans le Figaro. Où sont publiés en priorité les articles sur l’Europe ? En économie, à l’international ?
En effet, comme vous le dites, les articles sur l’Europe figurent soit dans les pages internationales, qu’ils concernent la diplomatie, la politique étrangère ou les relations européennes, soit dans les pages économie, notamment ceux que je traite, c’est-à-dire dans le supplément éco du Figaro sous la têtière « international » parce que l’Europe est considérée comme un sujet international.
Malgré le Brexit, le Royaume-Uni continue d’être très présent dans vos articles. Votre notion d’Europe correspond-elle plus à un continent qu’à une liste de membres de l’Union européenne ?
Effectivement, je ne suis pas fonctionnaire européen donc mon périmètre ne se limite pas à l’Union européenne. Il m’arrive d’écrire aussi sur la Suisse, éventuellement sur la Norvège, sur des pays candidats à l’UE et sur le Royaume-Uni.
Peut-être que votre passé d’ancien correspondant au Royaume-Uni vous influence encore un peu ?
Evidemment il y a un tropisme personnel puisque j’y ai passé huit ans. Je connais assez bien et mon successeur à Londres est moins branché que moi sur les questions économiques, notamment celles en lien avec l’Union européenne. Mais j’imagine qu’avec le temps ce sera de moins en moins le cas.
Au-delà, bien sûr, de l’actualité pure, tenez-vous compte de l’agenda institutionnel de l’Union européenne pour anticiper vos enquêtes ou vos reportages ?
Oui, ce n’est pas systématique mais on essaye de suivre et d’intégrer le calendrier institutionnel de l’UE, notamment le Conseil européen, le Conseil de l’Union européenne, l’Ecofin (conseil des ministres de l’économie et des finances des Etats membres, ndlr), les Eurogroupes (réunions mensuelles et informelles des ministres des finances de la zone euro, ndlr) ou des dates fortes comme l’entrée de la Croatie dans la zone euro. On en tient compte mais pas uniquement.
Comment vous partagez-vous la couverture du travail institutionnel de l’Union européenne avec Anne Rovan, la correspondante à Bruxelles ?
L’essentiel de la couverture du travail institutionnel incombe à Anne Rovan, en particulier tout ce qui touche à l’actualité « bruxelloise », si je puis dire, c’est-à-dire la Commission, les Conseils ou le Parlement européen. Moi j’interviens peut-être un peu plus en appui sur des sujets d’approfondissement ou qui sont dans l’air du temps ou encore quand il s’agit de sujets transeuropéens, c’est-à-dire, qui comparent les problèmes économiques communs à plusieurs pays européens. De même, je me charge plus des sujets vraiment économiques comme la politique monétaire ou, plus généralement, la conjoncture européenne. Mais quand il s’agit des prévisions économiques de la Commission européenne, c’est soit l’équipe de Bruxelles qui les traite, soit moi, soit nous les traitons ensemble.
On reproche souvent aux médias français de ne pas bien traiter les questions européennes ou pire, de les présenter comme un match que la France doit gagner, soit face à Bruxelles, soit face à d’autres pays membres. En sommes-nous toujours là ?
Je ne pense pas dans la presse écrite, en tout cas pas dans celle à laquelle j’appartiens. Il y a quelquefois des dimensions de match ou de bras de fer puisque parfois c’est la France qui essaye d’imposer quelque chose à ses partenaires européens ou de résister à quelque chose qui viendrait de l’Europe. Mais en général c’est plutôt dans l’autre sens puisque la France est plutôt moteur dans les développements de l’UE, en tout cas depuis quelques années. Donc les sujets que je traite font partie intégrante de la politique européenne bien qu’ils soient souvent liés à l’agenda français, notamment depuis que nous avons un président de la République très pro-européen. Les histoires de bras de fer, de matchs à gagner face à Bruxelles sont plutôt le fait d’Etats, soit eurosceptiques, soit populistes qui utilisent ce levier-là. Je pense que c’est moins le cas en France et donc moins le cas dans les médias français. La télé française a souvent traité la politique européenne de façon très distante voire lointaine. Nous, ce n’est pas notre cas.
Quelles pourraient être les conséquences d’un désintérêt total pour l’Europe ?
Ce serait dangereux. Ca l’est aujourd’hui pour certains pays comme la Pologne ou la Hongrie. Au Royaume-Uni, on voit les conséquences. Quant à l’Italie et son gouvernement très populiste et très d’extrême droite, donc pas forcément pro-européen à la base, on voit maintenant à quel point la présidente du Conseil italien, Georgia Meloni, a intégré l’UE dans son propre agenda.
A quoi ce « rapprochement » de Georgia Meloni vis-à-vis de l’UE est-il dû ? Aux réussites de la politique européenne sur le vaccin, à la solidarité des Etats membres vis-à-vis de l’Ukraine ?
La grande rupture, ça a été le Brexit et ses conséquences pour l’économie et la société britannique que tous les Européens voient. Ca a complètement inversé les chiffres dans les sondages d’opinions, particulièrement en France ou en Italie, qui montraient une défiance assez forte vis-à-vis de l’Union européenne. L’approbation à l’UE a beaucoup progressé. C’est le cas pour les vaccins, pour le plan de relance, pour les subventions énormes qui proviennent de l’Europe, pour les décisions militaires vis-à-vis de l’Ukraine, comme vous dites, ou pour la gestion de la politique énergétique ou industrielle. Après, il y a toujours des gens qui sont sceptiques ou qui mettent toujours en doute tout ce que fait l’UE par atavisme et par tropisme personnel.
A qui revient en premier, selon vous, la responsabilité de donner une autre image de l’Union européenne ou au moins de mieux expliquer son rôle ? A la presse ? Aux responsables politiques ?
L’image de l’UE n’est pas au cœur de nos préoccupations de journalistes. On s’efforce, en tout cas c’est mon cas, de couvrir, de comprendre, de décrypter ce qui se passe dans l’UE et le rôle que notre pays peut jouer dans cette actualité. Sans essayer d’en donner une image positive mais on voit depuis, on va dire, l’arrivée du président Macron mais aussi de la présidente de la Commission Ursula Von der Leyen, une Europe beaucoup plus politique, beaucoup plus stratégique mais qui essaye aussi d’être beaucoup plus proche des citoyens, d’être en prise avec leurs préoccupations. Ursula Von der Leyen en a fait, je pense, un combat personnel. Elle communique énormément. Peut-être que tous les Français ne sont pas familiers avec elle et ne suivent pas ses discours mais, en tout cas, c’est ce qu’elle s’efforce de faire ; de communiquer dans tous les pays, dans toutes les langues, de se déplacer beaucoup et de ne pas être juste une sorte de machin lointain comme aurait pu dire un de nos politiciens.
Propos recueillis par Dominique Villars