• L’Europe vue par la presse européenne

     • Publié le 1 mai 2019 • Rubrique(s) MDE

    A la veille des élections, Courrier International s’interroge, dans un hors-série*, sur le devenir de l’Europe. S’il semble acquis que de nouvelles cartes politiques vont être distribuées, l’incertitude règne sur les futures règles du jeu

    Devant la montée continue des populismes, Gerry Feehily, chef du service Europe à Courrier International, ne trouve plus exagéré de dire que nous sommes déjà dans une « Europe méconnaissable ». Quel visage aura-t-elle alors si, comme le redoute l’économiste suédois Fredrik Erixon dans The expectator, « les élections européennes donnent lieu à un raz-de-marée en faveur du RN de Marine Le Pen et de La Ligue de Matteo Salvini » ? Hypothèse tout à fait envisageable car « arrivés à maturité, les partis populistes représentent désormais de vastes pans de la population : un tiers de Français, la moitié des Hongrois, la plupart des Italiens, précise-t-il. Ni tout à fait racistes ni tout à fait fascistes, ils ne sont pas contre le fait d’appartenir à l’UE. Ils cherchent à enfoncer la porte mais sans démolir la maison. Cette distinction est capitale pour comprendre ce qui est en train de se produire. Ils veulent que Bruxelles redonne du pouvoir aux Etats-nations et respecte la diversité. Ils n’ont donc pas de programme commun pour l’Europe car ils n’aiment pas l’idée d’unanimité ».

    En revanche, Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur italien et patron de la Ligue, apprécierait, selon Edoardo Vigna du journal Sette, de créer une alliance des souverainistes. « Mais si tout le monde dit ‘‘Mon pays d’abord’’, comment accomplir quelque chose ensemble », ironise le journaliste. Ce qui ne les empêchera pas, d’après Guillermo Fernandez Vasquez de Ctxt, de « se réunir pour bloquer tout élan fédéraliste ». Le politologue britannique Mark Léonard va même plus loin dans Project Syndicate (ONG pragoise qui réunit 67 journaux). Selon une étude du Conseil européen des relations internationales, même avec une minorité parlementaire, une coalition des partis eurosceptiques pourrait réduire considérablement la marge de manœuvre de l’UE. « Avec seulement un tiers des sièges, les populistes pourraient s’opposer aux sanctions contre les Etats membres qui violent les règles communautaires (comme le PiS en Pologne ou le gouvernement Orban en Hongrie, ndlr) », explique-t-il. S’ils obtiennent la majorité absolue, ils pourraient faire capoter les négociations budgétaires de l’UE et précipiter une ‘‘paralysie administrative’’. (…) Cela saperait encore davantage la confiance de l’électorat dans les institutions européennes ».

    Pour éviter la débâcle, le politologue britannique préconise alors que les « pro-européens [soient] prêts à critiquer ouvertement et honnêtement les fragilités de l’UE et cessent de laisser croire aux populistes qu’ils sont satisfaits du statu quo à Bruxelles ». Francisco G. Basterra insiste lui, dans El Pais, sur la nécessité pour l’UE de se reconnecter avec la société et les citoyens car « l’Europe a besoin d’une bouffée d’avenir ». Peut-être avec Volt, un parti européen créé après le vote pour le Brexit et dont le siège est à Bruxelles. Il espère avoir des députés dans plusieurs pays commee l’Allemagne, les Pays-Bas, la Roumanie et la Bulgarie (El Confidencial). Ou avec The independent group, au Royaume-Uni. Un regroupement de huit ex-travaillistes et trois ex-conservatrices, tous europhiles et bien décidés à créer un vrai parti politique (The New European).

    Vers de nouveaux équilibres

    Mais que ces rares initiatives ne laissent pas croire, loin de là, que la décision du Brexit n’a eu que ce type de conséquences. Certes, les difficultés qu’il rencontre dans sa mise en place a, selon Tessa Szyszkowitz du journal autrichien Falter, « fait passer l’envie aux partisans d’un Frexit ou d’un Oxit (pour l’Autriche, ndlr) en montrant combien cette décision pouvait être nuisible aux intérêts nationaux. Les économies européennes sont trop étroitement liées pour être séparées sans causer de dégâts ». Mais, après avoir été « très dommageable à l’UE parce qu’il contribue à un retour du nationalisme, sous le masque des populismes de droite », le Brexit risque fort de changer certains équilibres. La journaliste note que « cela va renforcer l’influence de l’Allemagne et priver l’Europe du pragmatisme politique des Britanniques. Car c’est en participant aux négociations à Bruxelles, en tant que membre de l’UE, que se préserve au mieux l’équilibre des puissances en Europe ». The Economist note, de son côté, que sans leur chef de file (comprendre le Royaume-Uni, ndlr), huit pays** du nord, adeptes du libéralisme économique, se sont organisés, depuis un an, pour peser sur les décisions, notamment à l’encontre de la France à laquelle ils reprochent de « militer pour un budget européen qui aide à stabiliser les pays rencontrant des difficultés économiques. »

    Autre déséquilibre, encore plus préoccupant, que relève John Kampfner dans The New European : les accords bilatéraux que signent des pays comme la Grèce ou l’Italie avec la Chine, alors « qu’il faudrait de toute urgence une position commune cohérente pour contrer le pouvoir de nuisance de la deuxième économie mondiale ».

    Pour se rassurer, on peut toujours se tourner vers Guillermo Altares, interviewé dans Lestras Libres. Il préfère rappeler que « L’Histoire a trop lié les pays européens » et qu’« il y a des valeurs qu’on ne peut pas remettre en cause » puis conclure ainsi : « nous ne sommes pas si bêtes ».

    D.V.

     

    *« Une autre Europe est-elle possible »

    **La nouvelle ligue hanséatique comprend l’Irlande, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, la Finlande, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.

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