Thumbnail Img 2608Patrick TWIDLE, Vice-Président de la Maison de l’Europe de Rennes et Haute Bretagne – Centre EUROPE DIRECT, est en charge des relations avec le système éducatif en Bretagne. Britannique de naissance, il a vécu et travaillé en RDA ainsi qu’en Scandinavie, avant de réussir les tests de traduction au Parlement européen de Strasbourg. Il a rejoint les Communautés européennes dès 1973, à la suite de l’adhésion du Royaume-Uni, et il a été un témoin privilégié de la construction européenne. Il a notamment été chargé de la formation des interprètes lors des différents élargissements de l’Union, avant de diriger le service d’interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne jusqu’à son départ à la retraite en 2016. 

 

Dans quel cadre s’est déroulée votre mobilité Erasmus+ à Brno ?

J’ai pu bénéficier d’une mobilité Erasmus en tant qu’Administrateur bénévole de la Maison de l’Europe de Rennes et Haute Bretagne – centre EUROPE DIRECT grâce au consortium Erasmus+ porté par la Fédération Française des Maisons de l’Europe. Dans le cadre de l’éducation tout au long de la vie, ce stage d’observation s’est déroulé sous l’égide de l’Université Masaryk de Brno.

Pouvez vous expliquer quel est le lien entre la ville de Brno et Rennes ?

Les villes de Rennes et de Brno sont jumelées depuis 1965. Ce partenariat est axé principalement sur la coopération dans les domaines de la culture, du sport et de l’environnement et en 2025 le festival « Bonjour Brno! » a célébré le 60eanniversaire de ce jumelage, produisant des évènements autour de la culture française dans les rues de Brno. Étant donné que la Maison de l’Europe a été associée à l’organisation des événements organisés pour marquer cet anniversaire, j’ai également eu la possibilité de suivre la délégation officielle de Rennes Ville et Métropole pendant son déplacement à Brno les 22 et 23 avril. À Rennes, les célébrations du 60e anniversaire auront lieu fin octobre, avec la participation d’une délégation de la ville de Brno.

Quels ont été les événements et les rencontres qui ont rythmé votre séjour à Brno ?   

Image1Le 22 avril, j’ai rejoint la délégation de la Ville de Rennes menée par Annabel Marie, Conseillère municipale déléguée à l’Europe, pour une visite de la Villa Tugendhat, fleuron de l’architecture moderniste tchèque, en compagnie de S.E. Stephane Crouzat, Ambassadeur de France en République tchèque.

L’ouverture officielle du festival « Bonjour Brno ! » s’est déroulée ensuite dans les locaux de l’Alliance Française, en présence du président de la région de Moravie du Sud, avec le vernissage des oeuvres sélectionnées du concours de dessin et d’écriture « Drak et Minotte », où S.E. l’Ambassadeur de France a remis des prix aux élèves des écoles élémentaires, collèges et lycées de Brno. Le directeur de l’Alliance française, Jiři Votava, a expliqué que le concours, reliant les aventures des mascottes de Brno (‘Drak’, le crocodile suspendu à l’ancien hôtel de ville) et de Rennes (‘Minotte’, la blanche hermine bretonne), n’était pas réservé́ uniquement aux élèves parlant français, les histoires étant traduites en tchèque et en français respectivement. Les allocutions officielles ont rappelé les liens formés entre les deux villes au niveaux institutionnel, professionnel et citoyen depuis 1965, en passant par la révolution de velours de l’année 1989, jusqu’aux années 2000. Le partenariat a notamment couvert les études supérieures, le tourisme culturel, les crèches en plein air, et la gestion des déchets.

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Le lendemain, à la Bibliotheque Milan Kundera au sein de la Bibliothèque Régionale Morave (MZK), j’ai échangé avec le directeur, Tomaš Kubiček, suite à l’hommage à Milan Kundera organisé en novembre 2024 à Rennes (où Kundera a enseigné à l’université dans les années 1970). Nous avons notamment discuté l’essai de Kundéra « Un occident kidnappé » publié en France par Gallimard en 1983, et Tomáš Kubíček m’a dédicacé un recueil d’essais qu’il a édité en 2023 intitulé « A Kidnapped West : The Laboratory of Twilight » (Moravian Library in Brno 2023).

Les essayistes contributeurs, tous d’éminents intellectuels contemporains de l’Europe centrale (Jacques Rupnik, Robert Menasse, Michał Paweł Markowski, Irena Brežná et Jiří Přibáň) cherchent à définir les valeurs partagées qui, au-delà des frontières géographiques, caractérisent notre Europe. Ce faisant, à l’instar de Milan Kundera en 1983, ils soulignent tous le rôle essentiel de l’Europe centrale (Mitteleuropa) – lieu de rencontre entre les cultures de l’est et de l’ouest.

Image3À l’Université Masaryk de Brno (MUNI – Faculté des sciences économiques), j’ai donné une conférence aux étudiantes francophones du parcours MUNI MPR_EUIP (česko-francouzskeho programu Veřejna sprava – Administration publique francotchèque) sur l’Union européenne et la Maison de l’Europe. Des étudiants du parcours MFTAP effectuent régulièrement des stages avec Rennes Ville et Metropole et la Maison de l’Europe, et j’ai pu rencontrer l’étudiante tchèque qui viendra en stage à la MDE de Rennes en octobre, Marie Junkerová.

 

 

MUNI entretient des relations denses de longue date avec l’Université de Rennes, notamment à travers le parcours MFTAP et l’Alliance européenne EDUC, et lors d’une réunion en présence de l’ambassadeur français, des discussions ont eu lieu entre la présidence de MUNI et les VP à l’internationale des Universités de Rennes et de l’Université Rennes2 sur les relations futures avec les facultés françaises et une éventuelle alliance des Alliances EDUC et EMERGE (UR2).

Le vernissage de l´exposition « Dobrý den, Rennes! » s’est déroulé le 23 avril – avec des prises de parole de Jiří Oliva, Adjoint à la Maire de Brno, Anabel Marie, et Marie-Christine Biet, membre du Comité de jumelage et organisatrice de l’exposition d’esquisses libres des rues de Rennes exécutées par quatre artistes rennais: Vincent Andrieu, Anaïs Colin, Caroline Didou et Fanny Marais.

À la Faculté des Sciences sociales de l’Université Masaryk, j’ai rencontré le vice-recteur à l’internationale, Petr Suchý, dans le Département des relations internationales et études européennes, où j’ai assisté à la conférence donné par S.E. Matt Field, l’Ambassadeur du Royaume-Uni en République Tchèque, sur les relations anglo-tchèques et le sommet à Londres du 2 mars 2025. Monika Brusenbauch Meislová (Chaire Jean Monet Diplomatie numérique de l’UE) m’a invité à donner une conférence (sur le thème “Language and Communication in the  Digital Era: Insights from the EU” ) en tandem avec la conférence de Simona Dianová (doctorante MUNI en cotutelle avec l’Université de Paris Sorbonne Nouvelle) intitulée “The Politics of Fear in the Digital Age: How European Politicians Use Fear-Based Discourse on Social Media”.

 

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À la Représentation de la Région de Moravie du Sud j’ai rencontré l’équipe du bureau de Bruxelles et du Centre Europe Direct de Brno : Tomaš Kiss, du département des relations extérieures, Martin Míšek, du Bureau de Bruxelles ainsi que Aneta Mudavanhu – Komperova, directrice du bureau Europe Direct de Brno.  Le centre offre aux citoyens un accès facile à des publications sur l’UE, organise des conférences et des séminaires pour les écoles, les ONG, les municipalités et le grand public à Brno et en Moravie du Sud. 

 

Pendant votre séjour, vous vous êtes également rendu à Prague, quels ont été les temps forts et les rencontres marquantes de votre temps dans la capitale ?

Dans la capitale tchèque, j’avais rendez-vous à la Représentation de la Commission Européenne avec Martin STAŠEK, DGT Affaires linguistiques, Pavol Kukučka, Chef de la Communication et Martin Pelc, Officier de liaison pour les Centres Europe Direct.

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Par l’intermédiaire de Lukaš Macek, directeur de Sciences Po Dijon et Chef du Centre Grande Europe de l’Institut Jacques Delors, j’ai aussi pu rencontrer deux éminents membres de la Faculté d’études européennes de l’Université Charles, Eliška Tomalová, spécialiste de la diplomatie culturelle française, et Ivo Šlosarčík, spécialiste de la politique monétaire européenne. J’ai également rencontré une ancienne collègue francophone, Ivana Čeňková, doyenne de l’institut de traductologie de la Faculté des arts.

Avec les rencontres que vous avez faites pendant ce séjour, que pouvez-vous dire de la relation des Tchèques à l’UE ? Est-ce qu’il y a une tendance à l’euroscepticisme comme on a tendance à le retrouver dans des pays qui ont rejoint l’UE avec la grande vague d’élargissement de 2004 ? 

Les Tchèques sont globalement favorables à l’Union Européenne. En effet, la République tchèque est entrée dans l’Union européenne le 1er mai 2004 et dans l’espace Schengen en 2007. De plus, la République tchèque se présente en ardent soutien d’un élargissement rapide de l’Union européenne, que ce soit pour l’Ukraine, la Moldavie et les Balkans occidentaux. Le pays est également un bénéficiaire important des fonds structurels, avec une enveloppe de 27 Mds d’euros pour la période 2021-2027.

Cependant, il existe un certain euroscepticisme en République tchèque. Le parti populiste ANO, dirigé par l’ancien Premier ministre Andrej Babiš, est connu pour son programme eurosceptique, qui critique notamment le pacte migratoire et le Pacte vert pour l’Europe.

En effet, les dernières élections européennes ont permis au parti ANO d’Andrej Babiš (ex- Renew, désormais affilié au groupe « Patriotes pour l’Europe ») d’arriver en tête du scrutin avec 26% des voix (7 eurodéputés), ce qui montre que l’euroscepticisme domine le débat public dans le pays.  L’issue des élections prévues en octobre pourrait donc accentuer cette tendance, même si de nombreuses incertitudes subsistent dans un climat marqué par l’incertitude.

Au-delà de la perception politique générale, quelles initiatives concrètes de l’UE sur le terrain permettent de renforcer le lien entre les citoyens tchèques et l’Union ?

Image6LEuropa Experience à Prague reçoit de nombreux visiteurs, surtout des groupes scolaires mais aussi des touristes de pays tiers. Avec son équipement de pointe et cinéma 360°, l’effet de communication est impressionnant. Toutefois, le rapport coût bénéfice est remis en doute, étant donné que le budget des 12 Centres Europe Direct dans les territoires tchèques reste limité et doit être complété par des financements de contrepartie. En République Tchèque, comme en France, le nombre de communes avec peu d’habitants est très élevé (le pays compte 6 254 communes, dont 80 % ont moins de 1 000 habitants) et il est assez difficile de convaincre les autorités locales à s’intéresser à l’Europe, même avec la promesse de subventions, car … « un tiens vaut deux tu l’auras » .

 

 

Qu’en est-il des relations bilatérales de la République tchèque?

Pendant la semaine de ma visite, Brno a accueilli non seulement l’Ambassadeur français, mais également l’Ambassadeur britannique, ce qui témoigne de l’importance des relations bilatérales, non seulement politiques et culturelles mais aussi économiques.

Ces dernières années le niveau d’investissements tchèque dirigé vers le Royaume-Uni et la France a pu dissiper ce qui a été ressenti, selon mes interlocuteurs, comme une certaine condescendance envers les pays de l’Europe central depuis l’élargissement de l’UE en 2004. Citons en exemple ces oligarques tchèques dont les acquisitions anglaises et françaises n’ont cessé de défrayer la chronique économique des deux côtés de la Manche comme Andrej Babiš, l’ancien premier ministre.

Outre vos nombreuses activités et rencontres, avez-vous aussi eu le temps d’apprécier la culture tchèque ? 

Pendant mon séjour, j’ai pu apprécier les trésors de l’architecture des villes Brno et à Prague, les sculptures de rue et les musées ainsi que les excellentes bières et vins de la Bohème et de la Moravie, avant de rentrer en Bretagne le 30 avril.

À Brno, outre le centre-ville et la place du marché du XIII siècle (Zelny Trh), j’ai visité notamment : la Villa Tugendhat, l’ancien Hôtel de Ville, la Galerie Morave (deuxième plus grand musée d’art en RT), l’église St Jacques et son ossuaire (Kostnice u sv. Jakuba) avec les vestiges de plus de 50 000 squelettes, dont ceux des victimes d’épidémies médiévales et des armées suédoises pendant la guerre de trente ans – tous restaurés avec des fonds de l’UE dans les années 2000.

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Statue de la justice – Brno

À Prague, outre la vieille ville magnifique et le Pont Charles (Karlův most), le Château (Pražsky hrad) et l‘horloge astronomique, la Maison municipale (Obecni dům), chef d’oeuvre de la  Sécession et le Musée du Cubisme tchèque , j’ai admiré l’architecture moderniste des années 20, et j’ai pu aussi remémorer l’histoire récente de la Tchéquie au Musée du Communisme.

Image8Pont Charles de Prague