Témoignage : Mon Erasmus en Estonie lors du centenaire de la déclaration d’indépendance du pays
• Publié le 24 février 2019 • Rubrique(s) Actualités de l'Union europénne, MDE
« L’an passé, pour une durée de deux semestres universitaires, j’ai eu la chance de partir en Estonie dans le cadre d’un Erasmus. La question la plus fréquente que l’on m’a posée a sans nul doute été « mais pourquoi l’Estonie ? » sous-entendu que j’avais pourtant la possibilité d’aller partout dans le monde. J’ai fait le choix de l’Estonie – que je ne regrette absolument pas – parce que c’était un pays complètement inconnu, que je savais à peine placer sur une carte sans confondre avec la Lituanie ou la Lettonie, mais qui, pour une raison que je ne m’explique pas, m’attirait. »
L’Estonie est un pays appartenant à l’Union Européenne depuis 2004, et ayant adopté l’Euro en 2011 ; elle fait également partie de l’OTAN. A travers ce rapprochement très rapide de l’Union Européenne après la chute de l’URSS, on perçoit chez l’Estonie cette volonté de s’éloigner autant que possible de la Russie. Ainsi, l’Estonie est un pays parfaitement intégré au système européen, et qui n’est en réalité pas si éloigné que cela de ce que nous connaissons. Pour cette raison, je n’ai pas ressenti de « dépaysement » ou de « choc de culture » en arrivant en Estonie. Cela est encore plus vrai pour Tartu, qui est la ville étudiante et capitale culturelle du pays, où la proximité avec les pays de l’Union Européenne est encore plus visible.
L’Estonie est un pays fascinant car il a toujours été placé au carrefour de l’influence de grandes puissances européennes : les Allemands, les Russes et les Suédois principalement s’y sont succédés pendant plusieurs siècles, laissant chacun leur tour une profonde marque sur le pays. Malgré tout, cela n’a pas empêché les Estoniens de maintenir une forte identité à travers les années. Cette nation, présente mais endormie, s’est « réveillée », selon le mythe populaire, au XIXème siècle à travers l’émergence d’une réelle culture commune aux individus peuplant le pays. La littérature estonienne a pu se développer grâce à la progressive conscientisation de l’identité de l’élite intellectuelle. La pratique de la danse et du chant, chère au coeur des Estoniens, s’est renforcée également avec l’émergence de cette conscience nationale. De nombreuses autres pratiques et traditions tendent à renforcer l’identité estonienne.
J’ai eu la chance incroyable de partir en Estonie l’année du centenaire de la déclaration d’indépendance de l’Estonie, le 24 février 1918. Bien qu’elle ait été de courte durée du fait des invasions allemandes et soviétiques puis de l’occupation soviétique, elle reste pour les Estoniens l’une des dates les plus importantes de leur histoire.
En arrivant en Estonie, je n’avais pas la moindre idée de ce que l’année 2018 signifiait pour les Estoniens, mais j’étais intriguée par un petit logo (ci-contre), présent véritablement partout – des boites de chocolat aux paires de chaussettes. A part le mot « Eesti », qui signifie « Estonie » dans la langue, je ne parvenais pas à décrypter ce logo. J’ai donc demandé à ma professeure d’Estonien ce qu’il représentait. Elle m’a donc expliqué que c’était le logo du centenaire de la déclaration d’indépendance, en 2018 ; en effet, le logo regroupe à la fois les chiffres « 100 » et « 18 », ce que je trouve tout simplement génial.
J’ai trouvé impressionnante l’omniprésence de ce logo déjà plusieurs mois avant ladite date. C’est également très révélateur de l’importance que les Estoniens accordent à leur pays, leur indépendance, leur nation finalement. Un site internet entier était dédié au centenaire ; on pouvait y personnaliser son logo, acheter des objets divers, voir la liste des évènements en Estonie et ailleurs, etc.
Les Estoniens sont très fiers de leur pays et de leur culture. Pourtant malheureusement, au vu du contexte européen de montée des nationalismes et de l’extrême-droite, de plus en plus d’Estoniens voient d’un mauvais oeil cette fierté patriotique. J’ai réellement appris dans ce petit pays, à faire la
différence entre nationalisme et patriotisme. En effet, la notion de nationalisme comporte inévitablement un volet politique, tandis que le patriotisme est avant tout un sentiment. Romain Gary résumait parfaitement cette distinction fondamentale entre les deux concepts : « Le patriotisme, c’est d’abord l’amour des siens, le nationalisme, c’est d’abord la haine des autres ». Tout comme en France, les Estoniens ont aujourd’hui ce dilemme, tiraillés entre patriotisme et peur d’être considéré comme des nationalistes. Cependant, bien que cette tendance décline selon une professeure avec qui j’en ai discuté, de nombreuses occasions sont encore une raison en Estonie pour arborer fièrement son drapeau bleu/noir/blanc : le centenaire de l’indépendance évidemment, mais aussi des festivals de musique, des défilés étudiants, etc.
Le drapeau estonien est très important pour les Estoniens. Il est à l’origine le drapeau d’une société étudiante de l’université de Tartu, et a été choisi au moment de l’indépendance de 1918 pour devenir le drapeau national. Le drapeau original a été caché et préservé pendant toute la période soviétique, et est aujourd’hui exposé au Musée National Estonien, à Tartu. Les significations des couleurs sont plurielles. Le bleu représente la réflexion du ciel dans les lacs et la mer Baltique. Le noir représente tantôt la terre nourricière, tantôt un rappel des temps sombres qu’a connu le pays. Le blanc quant à lui est un signe d’espoir et de lumière, et n’est pas sans rappeler la couleur du manteau dont se couvre le pays pendant plusieurs mois. Durant l’occupation soviétique, le drapeau estonien était prohibé : les trois couleurs ne pouvaient être associées sur un même tissu/vêtement. C’est d’ailleurs à ce moment-là que l’Estonie choisit comme symbole nationale l’hirondelle rustique, dont les plumes sont bleues, noires et blanches.
Le 24 février 2018, je me suis rendue à Tallinn pour participer aux festivités entourant le centenaire. J’ai donc assisté notamment au défilé militaire. La ville entière grouillait de monde, de drapeaux et de sourires. Tout le monde s’est réuni sur la colline qui surplombe Vabaduse väljak (Place de la Liberté), où se tenait la cérémonie. Il s’agissait de l’un des jours les plus froids de l’année : il faisait autour de -15°. Le froid et la neige n’ont cependant pas empêché des milliers d’Estoniens de se réunir et de partager ensemble ce moment. C’était très émouvant et j’en garde un souvenir vivace.
En 1991, l’Estonie est l’une des RSS de l’Union Soviétique, et les Estoniens veulent mettre un terme à cette situation. S’ensuit alors une révolution non-violente, centrée autour de la chanson. La révolution chantante est ainsi l’Histoire d’un peuple qui se réunit dans la rue pour chanter ensemble leur identité, jusqu’à faire plier l’Union Soviétique, et retrouver leur indépendance perdue sans qu’une goutte de sang ne soit versée. Chanter a toujours été une part importante de l’identité estonienne. Dès 1869 est créé un Festival de chant et de danse, qui existe encore aujourd’hui, classé chef-d’oeuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité de l’Unesco. Durant toute la période soviétique, une chanson maintient les Estoniens ensemble : « Mu isamaa on minu arm » (My fatherland is my love), écrite par Lydia Koidula, poétesse estonienne lors de l’éveil national. Il s’agit aujourd’hui de l’hymne non officiel de l’Estonie, que chacun connait et qui est chanté avec toujours beaucoup d’émotion aux festivals de chant.
Le festival de chant estonien se tient tous les cinq ans et réunit plus de 100 000 personnes. Le prochain festival se tiendra en juillet 2019, et j’ai d’ores et déjà réservé mes billets ; il s’agira des 150 ans du festival, qui seront donc particulièrement importants et émouvants. »